Retour sur l’audition du ministre de l’Éducation nationale par les députés

Après l'audition du Ministre de l'Education nationale par les député.e.s sur le fonctionnement actuel du système éducatif et sur la préparation des réouvertures, analyse de la méthode et des hypothèses exposées. L'action syndicale a été utile dans la période, mais il reste beaucoup à faire.

Le mardi 21 avril 2020, Jean-Michel Blanquer était auditionné par des député.e.s pour faire le point sur le fonctionnement de l’Éducation nationale pendant le confinement et la fermeture des établissements ainsi que sur la préparation d’une éventuelle réouverture progressive à partir du 11 mai. Nous revenons sur le fond des interventions du ministre et aussi sur la méthode qui consiste à exposer des hypothèses jamais présentées aux organisations syndicales dans l’étape précédente du dialogue sociale.

Ce que le Sgen et la FEP CFDT ont obtenu

De fait, le Sgen-CFDT et la FEP-CFDT ont obtenu gain de cause sur certaines demandes et exigences présentées au ministre lors de la visioconférence du 15 avril et de différents échanges écrits.

 

Protection de la santé des personnels et des élèves

Nous demandions qu’un cadre national fixe les conditions sanitaires à respecter pour pouvoir ouvrir un établissement scolaire. Le ministre annonce l’élaboration d’une doctrine sanitaire nationale très claire. Elle portera notamment sur la taille des groupes d’élèves, les gestes barrières, les masques, les tests, la disponibilité de savon, de gel hydroalcoolique, de points d’eau.

Partout où les conditions sanitaires ne seront pas réunies, les établissements n’ouvriront pas.

Nous demandions que ce cadre sanitaire soit respecté notamment pour pouvoir ouvrir, mais aussi pour maintenir ensuite ouverts des établissements scolaires. Le ministre annonce que partout où les conditions sanitaires ne seront pas réunies, les établissements n’ouvriront pas.

Nous demandions que les personnels et les élèves ayant des vulnérabilités de santé, ou qui vivent avec des personnes ayant des vulnérabilités de santé les mettant en risque fort de développer les formes graves du Covid19 en cas de contamination soit dispensés de retour en présentiel. Le ministre affirme retenir ces deux situations : non seulement les personnels et les élèves concernés directement, mais si un membre de leur foyer est concerné.

 

Pas de reprise sèche

Nous demandions qu’il n’y ait pas de reprise sèche : nous affirmions qu’un décalage entre le retour des adultes et l’accueil des enfants était nécessaire. Le ministre a clairement indiqué qu’il y aurait une forme de pré-rentrée dans les établissements avant que les élèves ne reviennent.

Nous demandions que les équipes dans les écoles, les établissements aient de l’autonomie, dans le respect du cadre sanitaire national, pour organiser le temps, les espaces scolaires. Le ministre l’a évoqué.

 

Une École adaptée au contexte inédit que nous vivons

Nous affirmions que la priorité pour la fin de l’année scolaire qu’il y ait ou non réouverture d’établissements ne serait pas de finir les programmes, mais de favoriser la résilience aussi bien pour les adultes que pour les élèves, d’accompagner les parcours des élèves.

Nous affirmions que tout ce qui était prévu pour 2019-2020 ne serait pas fait en 2019-2020 et qu’il fallait l’assumer. Le ministre dit vouloir mobiliser les psychologues de l’Éducation nationale pour accompagner les reprises.

Le ministre affirme que la doctrine pédagogique ne sera pas de faire la même chose qu’à l’ordinaire, qu’il ne s’agira pas de finir à tout prix les programmes.

 

Le maintien du calendrier scolaire

Nous avons très vite affirmé qu’il fallait conserver les congés d’été. Puisque nous considérons qu’il ne s’agit pas de faire la course au programme scolaire mais bien d’accompagner les élèves dans leurs parcours, et ce sur plusieurs années, il n’y a pas, pour le Sgen-CFDT et la FEP-CFDT, d’intérêt à réduire les vacances estivales. Le ministre a réaffirmé que la fin d’année scolaire 2019-2020 ne changeait pas.

L’action syndicale a été utile dans la période, mais il reste beaucoup à faire…

Nos interventions, y compris en intersyndicale et inter organisations par exemple sur le cadre sanitaire, n’ont donc pas été vaines. Le syndicalisme est utile pour fédérer, construire et porter des analyses et des revendications. Sur tous ces points, il reste encore beaucoup à faire, beaucoup à discuter, beaucoup à préciser et tout ne le sera pas exclusivement au niveau ministériel.

 

Ce qui reste à obtenir, ce qui doit être précisé

Pour le Sgen-CFDT et la FEP-CFDT, certains éléments avancés par le ministre posent problèmes et pourraient devenir des désaccords selon les décisions qui seront prises finalement. Nous continuerons donc à argumenter et intervenir pour que la reprise se passe le mieux possible là où elle pourra être envisagée.

 

Taille des groupes d’élèves… et taille des salles de classe

Le ministre a évoqué un nombre maximal d’élèves par groupe accueilli tout en précisant que ce chiffre n’était pas « consacré », il a évoqué des groupes plus petits en maternelle. Annoncer un nombre maximum attire les commentaires.

Le Sgen-CFDT et la FEP-CFDT considèrent que le nombre d’élèves doit être fixé en référence à la superficie de la salle dans laquelle un groupe d’élève est rassemblé, et à l’âge des enfants. Le cadre national sanitaire devra donner des préconisations précises pour que les équipes dans les établissements puissent constituer au mieux les groupes d’élèves dans les différents espaces de l’établissement. Cette organisation supposera du temps.

 

Des groupes d’élèves à l’étude ?

Le ministre annonce que des élèves pourraient être accueillis à une étude dans leur établissement si les lieux le permettent. Rappelons qu’il ne suffit pas d’avoir des lieux, il faut aussi des personnels pour accueillir, encadrer, accompagner les élèves dans leur travail.

Le Sgen-CFDT et la FEP-CFDT l’ont dit et écrit au ministère à de nombreuses reprises, il faut se garder de vouloir reprendre trop tôt, trop vite, trop fort partout. Les établissements qui pourront rouvrir doivent définir ce qu’ils peuvent mettre en place selon la disposition de leurs locaux, les personnels disponibles…

 

Les masques seront nécessaires

Le Sgen-CFDT dès les échanges avec le ministre le 15 avril, et dans le cadre d’un courrier avec d’autres organisations, affirme qu’il est indispensable que des masques soient disponibles pour les personnels et les élèves en nombre suffisant. Il y a désormais un consensus médical sur l’intérêt de porter des masques pour limiter la diffusion de l’épidémie.

Si on veut vraiment que les personnels, les élèves et leurs familles aient confiance dans les conditions de la reprise, il faut des masques pour toutes et tous. Il nous semble que le gouvernement doit affirmer rapidement que les établissements scolaires comme administratifs ne pourront rouvrir que si des masques sont disponibles.

 

L’organisation de l’été et l’apport des personnels des services Jeunesse et sports

Le ministre a évoqué l’organisation de colonies de vacances à vocation pédagogique mais aussi des activités sports, santé, citoyenneté et culture pendant la période scolaire. Il y travaille avec les associations de l’Éducation populaire.

C’est intéressant mais il faut leur reconnaître pleinement leur expertise prouvée depuis longtemps : les activités proposées par les acteurs de l’éducation populaire, par les animateurs et animatrices des temps périscolaires et extrascolaires sont toujours appuyées sur un projet pédagogique. La perspective d’activité sports, santé, culture et citoyenneté peut avoir du sens. Cependant là aussi, cela n’a jamais été discuté en amont et cela pose beaucoup de questions : articulation avec le cadre scolaire, possibilité même de tenir ces activités dans le respect du cadre sanitaire… ?

Par ailleurs, organiser toutes ces activités suppose aussi un travail conséquent des personnels des services Jeunesse et Sports dans les directions départementales et régionales. Leur charge de travail est déjà très forte, le Sgen-CFDT demande une priorisation de leurs activités.

 

Des silences dont il faudra sortir

Pour le Sgen-CFDT et la FEP-CFDT, rouvrir des établissements scolaires, plus encore dans le contexte épidémique, ne relève pas que de l’Éducation nationale. Le ministre a peu évoqué les enjeux de santé publique et de soutien au système de soin, de même qu’il semble considérer que le travail avec les associations d’élus locaux suffit à ce que les choses se passent bien.

 

Géographie de l’épidémie et différenciation des reprises

Le ministre annonce l’hypothèse d’une reprise étalée sur trois semaines.

Ce schéma n’a jamais été présenté aux organisations syndicales puisque le ministre en a réservé l’exclusivité aux député.e.s. Sur le fond, ce séquençage a le mérite de permettre une progressivité de la reprise, là et quand elle sera possible. Or le ministre semble ne travailler que sur un calendrier comme s’il allait nécessairement s’appliquer sur l’ensemble du territoire de manière uniforme.

La géographie de l’épidémie, de l’état du système de soin s’impose au ministère de l’Éducation nationale.

Pour le Sgen-CFDT et la FEP-CFDT, la géographie de l’épidémie, de l’état du système de soin s’impose au ministère de l’Éducation nationale. C’est à la direction générale de la santé, aux préfectures et ARS d’indiquer si dans tel ou tel territoire, il est possible de rouvrir les établissements scolaires. Le gouvernement devrait l’assumer devant la population et la représentation nationale car cela aura des incidences fortes sur l’organisation de chacun et chacune.

 

Maintenir l’accueil de enfants de soignants

La réouverture d’établissements aux élèves ne doit pas remettre en cause l’accueil des enfants de soignants. Cela participe du soutien aux hôpitaux et à leurs agents.

 

Équipements réquisitionnés : disponibles pour l’éducation si et seulement si les préfectures peuvent les libérer

D’ores et déjà, des internats, des gymnases sont réquisitionnés pour faire face à l’épidémie : installer des centres Covid19 de consultation spécialisée, héberger des malades en situation de précarité de logement pour leur permettre de s’isoler, de guérir quand ils n’ont pas besoin d’être hospitalisés.

Demain, pour organiser les dépistages de tous les cas suspects, pour isoler les cas confirmés selon les axes stratégiques présentés par le Premier ministre le 19 avril, il est probable que tous les équipements réquisitionnés ne pourront être remis à disposition d’activités scolaires ou sportives.

Pour le Sgen-CFDT et la FEP-CFDT, la priorité va à la stratégie de santé en la matière, même après le 11 mai. Si les préfectures ne trouvent pas de lieux alternatifs, l’Éducation nationale ne doit pas entraver la réquisition.

 

Protocoles de reprises à négocier dans les collectivités locales

Le ministre dit travailler avec les associations d’élus locaux. C’est nécessaire, mais cela ne suffira pas.

Il faut que chaque collectivité locale négocie les protocoles de reprises avec ses agents, avec les spécificités nécessaires pour les agents qui interviendront de nouveau dans les établissements scolaires à partir du 11 mai, ainsi que dans toutes les structures sociales d’accompagnement à la scolarité.

Il faut que les collectivités locales puissent indiquer dans quels délais elles pourront garantir le cadre sanitaire pour ce qui relève de leurs compétences dans les établissements et pour leurs agents.

 

Protocoles de reprises à négocier avec toutes les entreprises dont des salariés interviendront dans les établissements scolaires

Rouvrir des établissements scolaires cela a des incidences sur bien d’autres secteurs : transport scolaire, transports en commun, services de restauration, de nettoyage qui sont parfois externalisés… là aussi le gouvernement doit s’assurer que des protocoles de reprise sont négociés et garantissent aux salarié.e.s des conditions de sécurité sanitaire à la hauteur des enjeux.

 

Organiser et réguler la charge de travail quand enseignement en présentiel et à distance s’articulent

Les contraintes sanitaires, la protection des personnels et des élèves devraient amener le système à un fonctionnement hybride mêlant enseignement à distance et enseignement en présentiel. Nous l’observons toutes et tous, basculer en enseignement à distance occasionne une intensité de travail toute particulière.

L’articulation entre les deux modalités doit être travaillée spécifiquement par les équipes dans les établissements pour réguler la charge de travail de chacun.e.s et éviter les situations de surmenage, voire de burn-out. Cet enjeu doit être pris en compte par toute la chaîne hiérarchique pour éviter des injonctions contradictoires.

 

Prolonger des dispositions dérogatoires pour les parents d’enfants de moins de 16 ans.

Pour le Sgen-CFDT et la FEP-CFDT, il est donc clair que les enfants ne seront pas scolarisés sur la totalité du temps scolaire habituel.

Les dispositifs dérogatoires mis en place pendant la phase de fermeture de tous les établissements scolaires doivent être prolongés. Il faut là aussi l’assumer publiquement et vite afin que les employeurs (publics comme privés), les familles puissent anticiper la complexité d’articulation entre vie professionnelle et responsabilité parentale que ce soit en cas de travail en présentiel ou à distance.

 

Une méthode problématique

L’audition d’un ministre par la représentation nationale pour rendre compte de son action, fait partie du fonctionnement normal de notre démocratie politique. Cependant, à cette occasion, le ministre a présenté des hypothèses sur la réouverture des établissements scolaire à partir du 11 mai.

Certes, ce sont des hypothèses, certes elles ont été présentées au conditionnel, certes le ministre a rappelé que le dialogue avec les syndicats, les représentants de parents d’élèves, les élus locaux et les lycéens n’était pas fini et que donc tout n’était pas calé. Certes… mais il a donné des précisions, des schémas qui n’ont jamais été présentés aux organisations syndicales représentatives des personnels.

Il a donné ces précisions alors même que seule la phase d’écoute a eu lieu. Il n’y a pas eu avec les syndicats la deuxième étape : des réponses du ministres aux propositions, exigences, interrogations, une présentation des premières tendances.

Dialogue social : les partenaires doivent être écoutés mais aussi associés étroitement au processus de décision.

Ce faisant le dialogue social est mis à mal. On semble rester dans un schéma où le ministre écoute puis décide, un schéma dans lequel les organisations qui devraient être partenaire d’un dialogue social risquent d’être reléguées ou de s’enfermer dans une posture de commentaire.

C’est bien la méthode ici qui pose problème.

Dans la période que nous traversons, qui est éprouvante, nous avons collectivement besoin de préparer les évolutions du confinement, les réouvertures qui auront lieu là et quand ce sera possible en recherchant le consensus. Pas un consensus mou, un consensus résultant des échanges, de l’interrogation des différents scénarii possibles pour trouver les moins mauvaises solutions. Ce n’est qu’ainsi que les reprises pourront prendre sens, se passer le plus sereinement possible.

Cela suppose que les partenaires soient non seulement écoutés mais associés étroitement au processus de décision.

Sortons des effets d’annonce et construisons, dans l’intérêt des élèves et des personnels.

Le Sgen-CFDT et la FEP-CFDT ont rappelé au ministère sa demande, cohérente avec ce que demande toute la CFDT : négocions un plan ou un protocole de reprise, organisons le dialogue social « à tous les étages » pour permettre les ajustements locaux indispensables, pour suivre aussi la mise en œuvre des reprises collectivement. Sortons des effets d’annonce et construisons, dans l’intérêt des élèves et des personnels.

Là et quand il y aura réouverture d’établissements scolaires, ce sera une reprise sous contraintes. Des contraintes multiples qui imposeront des ajustements locaux pour respecter le cadre sanitaire nationale et pour donner du sens à la ré-union des communautés éducatives. Ce sera donc un travail considérable pour tous les personnels de l’Éducation nationale.

Il faudra prioriser les objectifs de travail, alléger par exemple la continuité pédagogique comme la continuité administrative pour permettre la préparation de la reprise. Puisqu’il est probable que le virus circule encore en septembre sans que nous disposions d’un vaccin ou d’un traitement pleinement efficace, il est important que toute réouverture soit suivie, que les instances de dialogue social puissent analyser les écueils, les réussites, pour mieux préparer aussi les conditions de fonctionnement après l’été.