Quitter l’enseignement : une décision liée aux transformations du métier et au management

(étude Iredu)
Dépêche AEF n° 619984
Par Alexandra Caccivio Publiée le 22/01/2020 à 17h34

Un rapport du Sénat, début 2017, pointait l’augmentation, récente, des taux de démission des professeurs des écoles. Quatre chercheurs de l’Iredu se sont penchés sur le phénomène en interrogeant 47 démissionnaires. Ils voient dans leur décision « les effets concrets de la nouvelle gestion publique qui, en modifiant les contours et le contenu d’activités de la fonction publique, dissout certains des avantages » en même temps que « les valeurs » autrefois associées au métier. Leur travail, riche de témoignages, met également le doigt sur des pratiques managériales contre-productives.

Qu’est-ce qui pousse les enseignants à démissionner ? En recueillant le témoignage de 47 d’entre eux, tous sur le départ ou aujourd’hui reconvertis, quatre chercheurs (1) de l’Iredu ont produit une étude qui dépasse les seuls constats chiffrés pour développer une analyse « qualitative », écrivent-ils dans l’article publié dans le numéro 43 d’Éducation et Sociétés.

En 2017-2018, 0,25 % des professeurs des écoles ont démissionné, en France. C’est un taux qui ne cesse d’augmenter (il était de 0,09 % en 2010-2011). Dans leur article, les chercheurs soulignent cependant que le retrait de la profession peut également être « progressif », constituant une forme plus « discrète » de « décrochage enseignant ». En 2015-2016, 4,1 % des enseignants titulaires étaient ainsi en détachement ou en disponibilité, disent-ils sur la base des chiffres de la Depp.

Des enseignants qui doivent rendre compte de tout

Principale conclusion des chercheurs : « L’analyse des éléments […] fait ressortir le lien entre les décisions de départ et les transformations institutionnelles récentes ». Autrement dit : l’insatisfaction au travail (qui, tous métiers confondus, est le moteur de toutes les reconversions professionnelles) trouve ses racines, chez les professeurs des écoles, dans la mise en œuvre de la nouvelle gestion publique (NGP) et ses nouveaux modes de management (lire sur AEF info).

Quels sont les motifs d’insatisfaction ? La NGP expose désormais les professeurs des écoles à « un contrôle » de leur temps de travail – avec la tenue d’un « décompte précis et détaillé des heures qu’ils consacrent à différentes tâches », expliquent les chercheurs.

« La redevabilité se traduit plus généralement par une demande de formalisation croissante », poursuivent-ils. Les recommandations didactiques, comme la différenciation de la pédagogie, doivent par exemple figurer dans les fiches de préparation fournies aux inspecteurs ou aux conseillers pédagogiques. « Cela alourdit et complexifie le travail de préparation, demandant de rendre visible un travail qui, auparavant, avait cours sans formalisation », écrivent les chercheurs.

Prise de poste : des pratiques jugées « inhumaines »

Tous les enseignants formés dans les Espé après 2013 ont dénoncé « les faiblesses de l’encadrement à leur prise de poste ». C’est le cas de Manon (qui, au moment de l’enquête, avait repris le poste de cadre administratif qu’elle avait quitté pour embrasser le métier d’enseignant). Quand, dans son service, elle avait des stagiaires ou des CDD, elle les « prenait 15 jours » afin de voir « comment ils travaillaient », raconte-t-elle. En entrant dans l’Éducation nationale, elle s’attendait au même accompagnement. Ça n’a pas été le cas. C’est « débrouille-toi cocotte », raconte-t-elle. « C’était inhumain de mettre une petite nana qui n’a aucune expérience toute seule avec sa classe unique dans une école de campagne. C’est une histoire de confiance aussi. J’ai réussi le concours, ok, mais ils ne me connaissaient pas. »

De nouvelles missions mais pas de moyens pour les remplir

Les enseignants les plus aguerris évoquent, de surcroît, une « dégradation de leurs conditions de travail » liée aux « fréquentes réformes » qui « les obligent à se réapproprier de nouveaux programmes ». Et, « confrontés à des injonctions contradictoires » (comme « s’adapter aux élèves mais amener tout le monde à un certain niveau »), ils font part « d’une lassitude d’autant plus délétère qu’elle s’accompagne du sentiment qu’on abuse de leurs forces et de leur bonne volonté ». « Ça devient fatigant à chaque fois de tout refaire, tout recommencer, se reformer complètement sans qu’il y ait vraiment des bilans tirés des anciens programmes », témoigne ainsi Mélina, une ex-enseignante.

Les professeurs débutants, eux, font part d’une désillusion très forte à l’égard « d’un métier et d’une institution scolaire dont ils attendaient souvent beaucoup ». Un exemple : si l’inclusion fait partie des nouvelles missions de l’école, elle s’avère, dans la classe, complexe, « en particulier lorsque les moyens matériels et humains sont jugés insuffisants ». Cette inadéquation entre les objectifs et les moyens mis à disposition trouve une illustration dans le témoignage de Charline. « À l’Espé […], j’ai eu un cours intitulé ‘adaptation à la diversité en M2’, explique-t-elle. C’était un topo historique sur la prise en compte du handicap ! Un topo historique ! Y en a marre ! »

Dans leur conclusion, les auteurs de l’article soulignent que la situation n’est pas propre au professorat des écoles. « Comme pour la gendarmerie nationale », ils mesurent ici « les effets concrets de la NGP qui, en modifiant les contours et le contenu d’activités de la fonction publique, dissout certains des avantages et valeurs y étant autrefois associés : une certaine sécurité de l’emploi, des conditions de travail acceptables, la possibilité de concilier vie professionnelle et personnelle, une solidarité de corps ».

Les différentes logiques d’une démission

Les « sorties de classe » ne répondent pas aux mêmes logiques individuelles, estiment les chercheurs qui distinguent trois types de configurations. Certains reclassements, dans l’urgence, interviennent après des épisodes dépressifs. Ils n’ont pas été planifiés. « D’autres sorties […] s’inscrivent dans un projet professionnel alternatif visant à prolonger une ascension sociale ». C’est le cas des « enquêtés issus des catégories populaires ou des petites classes moyennes dont les ascendants avaient souvent une image très positive du métier de professeur des écoles ». « Certaines sorties, enfin, permettent de répondre à un sentiment de déclassement social déjà latent dès l’entrée dans le professorat des écoles. Cela tient pour partie à la modestie du statut de la profession […] mais aussi à la rigidification des conditions d’exercice d’un métier qui paraît offrir aujourd’hui […] trop peu de latitude et de temps pour soi. »

(1) Magali Danner, Géraldine Farges, Héloïse Fradkine et Sandrine Garcia.


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