Souvent considéré comme trop à distance des salariés ou pas assez en prise avec les évolutions du monde professionnel, le syndicalisme essuie aujourd’hui des critiques. Certains, désabusés ou désorientés, doutent même de son intérêt, voire de sa légitimité. Quoique ce sentiment semble injuste à celles et ceux qui donnent de leur temps pour l’action collective, il doit être entendu et interrogé.
À l’heure d’une démocratie malmenée dont, surtout, on attend plus, les salariés veulent-ils vraiment moins d’élus pour les représenter, ou aspirent-ils à un modèle syndical rénové ? Quelles sont alors les voies pour réconcilier les personnels avec le syndicalisme ?
Réinventer l’action syndicale, avec les outils d’aujourd’hui, et les nouvelles aspirations, c’est se battre pour la liberté de demain.
Dossier réalisé par Pierre-Marie Rochard et Frédéric Sève – Publication originale dans le mensuel de la fédération Sgen-CFDT – Profession Éducation – N° 250 – janvier 2017
Clés de compréhension
- Lier revendications nationale et projets d'actions locaux
- Développer le syndicalisme de proximité
- Obtenir des marges d'autonomie pour facilter les collaborations
- Valoriser et organiser les collectifs de travail
- Encourager les solidarités professionnelles
L’ADN du Sgen : Revendiquer et négocier pour pouvoir AGIR
Lier les revendications nationales aux projets d’actions syndicales locales.
Une des spécificités du Sgen-CFDT est de lier, autant que possible, les revendications nationales aux projets d’actions syndicales locales. En effet, dégager des marges de manœuvre pour l’action syndicale locale constitue bien une des boussoles pour évaluer la pertinence et orienter la mise en œuvre des réformes ministérielles.
Concertation, négociation : donner de réelles marges d’autonomie aux équipes…
Ainsi, pour les nombreux dossiers défendus ces dernières années devant les différents gouvernements (qui ont concerné, par exemple, le socle commun, les réformes du collège, des rythmes scolaires, du lycée, du bac pro en trois ans, la loi Enseignement supérieur et Recherche…), une des clefs de lecture et d’appréciation du Sgen-CFDT a toujours été la capacité – ou non – des autorités à donner de réelles marges d’autonomie aux équipes, en matière de concertation et de négociation.
…pour encourager les pratiques collaboratives et organiser les collectifs de travail
Le choix d’une plus grande autonomie ne saurait en aucun cas être une forme de désengagement de la puissance publique, ce qui est à l’encontre de toutes les réflexions CFDT.
Mais, l’un des enjeux pour que les agents se réapproprient le travail et améliorent leurs conditions de travail est assurément de permettre à ces mêmes agents d’avoir les cartes en main et d’encourager les pratiques plus collaboratives – gage d’innovation et d’adaptation aux besoins du terrain.
Pour qu’elle soit un puissant moyen de favoriser l’action syndicale locale (aux niveaux de la région, du département, de la commune, de l’établissement), l’autonomie voulue par le Sgen et la CFDT exige de valoriser les collectifs de travail, de les organiser pour éviter le délitement des solidarités professionnelles et le « chacun pour soi » ; de réunir les moyens de réelles marges de manœuvre au plus près des réalités professionnelles (temps, instances, droit syndical, voire budget…) ; et qu’enfin, aussi bien l’État que les organisations syndicales fassent confiance aux personnels et à leurs représentants. • P.-M. R.
IL EST D’USAGE, EN FRANCE, DE CRITIQUER LE SYNDICALISME
… et particulièrement le syndicalisme de la fonction publique.
Trop politisé selon certains, il est de plus accusé, paradoxalement, d’être trop contestataire et de cogérer le système, et d’être de toute façon éloigné des préoccupations des personnels qu’il est censé représenter et défendre.
Qu’on charge la barque pour mieux nourrir un ressentiment populiste contre les corps intermédiaires ou pour justifier un pessimisme de bon aloi face à l’action collective, il y a toujours dans cette critique un refus d’analyser les maux dont souffre le syndicalisme français – et surtout un refus d’y remédier.
Une grande partie des problèmes du travail trouve son origine dans l’organisation locale du travail et des rapports humains.
LÀ OÙ LE BÂT BLESSE
Une structuration syndicale marquée par l’histoire et le mode de pilotage de la fonction publique
Pourtant, ces carences ont une cause parfaitement identifiable : l’action syndicale ne se fait pas assez au niveau des collectifs de travail, c’est-à-dire dans les établissements.
Ce travers tient sans doute à l’histoire du syndicalisme, notamment dans la fonction publique où se sont constitués de puissants « syndicats maison », coupés du mouvement syndical confédéré qui s’est bâti dans le secteur privé.
Mais il s’explique aussi par le mode de pilotage traditionnel de la fonction publique, et plus particulièrement la fonction publique d’État : très vertical et centralisé, il laisse trop peu de marges de manœuvre aux acteurs locaux pour permettre un dialogue social inventif et source de progrès social.
Une coproduction réglementaire qui peut passer pour de la cogestion
Cette structuration génère un syndicalisme d’antichambre ministérielle, qui fait « remonter » les problèmes, suscite en retour une production de circulaires censées les régler, mais qui ne fait que renforcer la rigidité de la gestion et l’atonie du dialogue social local.
Le grief de cogestion y trouve aussi sa racine, puisque les syndicats deviennent par la force des choses coproducteurs des textes administratifs.
Un risque de politisation de l’activité syndicale…
Enfin, cette centralisation de l’activité syndicale risque en permanence de « politiser » celle-ci : comment distinguer entre une critique de la gestion ministérielle, au nom des conditions de travail, ou l’approbation d’une réforme, au nom de l’intérêt général ou même de l’intérêt du service public, et une prise de position partisane ?
UNE NÉCESSAIRE ADAPTATION
Cette forme de syndicalisme ne peut cependant plus être efficace aujourd’hui – si tant est qu’elle ait jamais été réellement efficace.
Une autonomie qui se développe…
La part d’autonomie laissée aux établissements, que ce soit dans le supérieur, la recherche, l’enseignement, n’a pas cessé de croitre au fil des ans, et qu’elle est appelée à se renforcer encore dans les années à venir.
Les universités gèrent désormais en toute autonomie leur masse salariale, tandis que leur autonomie pédagogique s’est encore renforcée. Cette même autonomie pédagogique commence à se développer dans les établissements scolaires – le droit à l’innovation, la réforme du collège, le dispositif « Plus de maitres que de classes » dans le primaire en sont des exemples.
Si elles restent une réalité, la contrainte réglementaire ou la tutelle ministérielle bloquent encore trop souvent la prise d’initiative locale mais n’empêchent pas le dévoiement de certaines mesures en particulier par les recteurs.
Un dialogue qui ne peut plus se limiter à la relation avec l’autorité de tutelle…
L’activité de nos services publics dépend de plus en plus d’une grande diversité d’acteurs, et l’État, ou son représentant, n’est plus le seul interlocuteur du dialogue social, et il n’y a pas d’instance de dialogue qui les réunisse tous.
Une évolution qu’a illustrée jusqu’à la caricature la réforme des rythmes scolaires de 2013, pilotée à la fois par les mairies et les autorités académiques, mais sans que les premières siègent dans une instance de dialogue social appropriée.
On pourrait de même citer les régions et départements qui construisent les locaux scolaires ou investissent dans les équipements numériques, mais sans en discuter avec ceux qui vont y travailler – comme si les bâtiments et le matériel n’étaient pas des déterminants essentiels de la qualité de vie au travail.
(RE)DÉVELOPPER UN SYNDICALISME DE PROXIMITÉ…
Une grande partie des problèmes du travail trouve son origine dans l’organisation locale du travail et des rapports humains. Leur résolution nécessite moins de grandes réformes qu’une médiation au quotidien et une ingénierie sociale de proximité.
Il est dangereux de croire, ou de faire croire, que le bonheur au travail dépend d’un grand soir réglementaire ou législatif.
Cela nourrit l’immobilisme politique qui ne peut que constater son impuissance à répondre aux attentes concrètes des personnels. Cela nourrit aussi la désillusion puisque aucune action collective concrète sur la vie au travail n’est jamais possible.
C’est pourquoi il faut (re)développer le syndicalisme de proximité, la présence et l’action syndicale locale.
Le syndicalisme utile, aujourd’hui, c’est moins un syndicalisme de lobbying national qu’un syndicalisme qui donne aux collectifs de personnels les moyens d’agir ensemble sur la réalité du travail quotidien.
…ADOSSÉ À UNE ACTION NATIONALE CADRANTE
Bien évidemment, l’action syndicale comportera toujours une dimension nationale : pour traiter des droits et des garanties collectives, des rémunérations, des carrières, mais aussi pour encadrer par des règles le dialogue social à tous les niveaux.
Mais le rôle fondamental d’un syndicat, et en tout cas le rôle fondamental que s’assigne le Sgen-CFDT, c’est d’accroitre le pouvoir d’agir individuel et collectif des salariés sur leur qualité de vie au travail comme sur la conduite de leur exercice professionnel.
Jean-Louis Malys * “Les travailleurs veulent un syndicalisme cohérent et utile.”
* ANCIEN MÉTALLURGISTE, SECRÉTAIRE NATIONAL DE LA CFDT.
Quel regard portes-tu sur les difficultés du militantisme aujourd’hui ?
Nos principaux adversaires en tant que militantes et militants de la CFDT ne sont pas autant qu’on l’imagine nos directions d’administration ou d’entreprise, ou même nos concurrents syndicaux qui pourtant ne nous épargnent pas. Nos adversaires les plus coriaces et les plus insaisissables sont ces sentiments de doute, de scepticisme quant à l’efficacité de l’action collective qu’expriment les travailleurs. Cette défiance alimente la tentation du « chacun pour soi » et menace les ambitions solidaires qui sont l’essence même du syndicalisme CFDT.
Quelles sont les actions et perspectives syndicales proposées par la CFDT ?
Pour combattre ces adversaires sournois que sont le scepticisme et le chacun pour soi, notre syndicalisme doit être au plus près des salariés et agents pour démontrer son utilité au quotidien.
C’était déjà l’objet du rapport confédéral intitulé « Oser le changement » rédigé en 2010 par Marcel Grignard en préparation du congrès de Tours de la même année. Le syndicalisme devait démontrer sa légitimité. C’est le sens des règles sur la représentativité qui, depuis, se sont imposées sous notre impulsion. Le rapport préconisait aussi de « serrer les lignes » comme disent les sportifs, c’est-à-dire de mieux nous organiser collectivement pour permettre aux militants d’être davantage soutenus et accompagnés. Les divers chantiers entrepris au congrès de Marseille vont dans ce sens, visant à favoriser la proximité et à épauler les militants par la mise à disposition d’outils d’appropriation, de communication, de formations… Des progrès sont toutefois encore nécessaires et le prochain congrès de Rennes sera l’occasion d’en débattre avec les militants et adhérents de la CFDT.
Comment le syndicalisme peut-il aider à redonner confiance aux salariés ?
Les travailleurs n’attendent pas de nous des discours péremptoires, des déclarations solennelles et des postures idéologiques coupés des réalités. Ils veulent un syndicalisme cohérent et utile.
Ils attendent de nous un discours de vérité et des revendications qui, du national au local, démontrent leur efficacité et leur pertinence. La confiance se gagne d’abord sur le terrain, au contact des salariés et des agents.
Les enjeux nationaux en matière d’emplois, de politique salariale, de projets collectifs sont importants, mais ils ne sont ni perceptibles, ni crédibles, si nous ne prenons pas en compte, dans le même temps, les questions concrètes et quotidiennes d’organisation du travail, des métiers, des parcours professionnels. Même quand le contexte est difficile, le meilleur outil dont dispose notre syndicalisme reste le dialogue social et sa déclinaison, en particulier, au niveau local. Il n’ignore pas les désaccords et les conflits. Au contraire, il les prend véritablement en compte pour aboutir à des résultats visibles pour les travailleurs.
• Propos recueillis par Frédéric Sève